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shakespeare : antoine et cléopatre
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coule le plus azuré, sur cette main qu'ont touchée des lèvres royales, et qui ne l'ont baisée qu'en tremblant.

Messager. — Madame, il va bien.

Cléopatre. — Voici de l'or encore. Mais, faquin, fais attention que selon le dicton : les morts vont bien. Si c'est ainsi que tu l'entends, tout cet or que voici, je le fais fondre et le verse brûlant dans ta gorge imprudente.

Messager. — Hélas ! Madame, écoutez-moi.

Cléopatre. — Alors parle. Mais je ne lis rien de bon sur ta face. Antoine est libre et bien portant ? ta figure d'enterrement ne sied pas au clairon des bonnes nouvelles. Est-il malade ? Alors, les cheveux en désordre et pareils aux serpents des Furies.

Messager. — De grâce, ah ! daignez m'écouter.

Cléopatre. — J'ai furieusement envie de le battre avant qu'il ne parle. Pourtant, si tu dis qu'Antoine est vivant, qu'il va bien, qu'il fraternise avec César et ne se laisse point duper par lui, alors je ferai pleuvoir sur toi une averse d'or, une grêle de perles fines.

Messager. — Madame, il va bien.

Cléopatre. — Bien dit.

Messager. — Il fraternise avec César.

Cléopatre. — Tu es un brave homme.

Messager. — César et lui sont plus grands amis que jamais.

Cléopatre. — Je ferai ta fortune.

Messager. — Toutefois, Madame...

Cléopatre. — Oh ! je n'aime pas ce « toutefois ». Il ternit le bien qui précède. Fi du « toutefois ». Le « toutefois » est un geôlier qui va relâcher quelque monstre. Je te prie, mon ami, sors d'un coup tes nouvelles, le