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362 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

aisément les divers systèmes que je lui proposai, sut les appliquer rapidement, non point comme Gertrud qui était embarrassée par la vision commune du monde, mais d'un point de vue général, large, philosophique, auquel je n'avais atteint qu'au prix d'incessants efforts. Elle put se mettre en liaison avec les hommes et ne retint de leurs discours qu'une admiration sans borne à mon égard, et le juste sentiment de ma supériorité sur eux. Tout ce qu'elle savait lui venait de moi, je Tavais façonnée à mon image : elle n'eut qu'une religion, m'aimer. Mais cet amour fut d'autre sorte que celui ren- contré à Paris ou à Londres. Le calme y régnait, et non cette inquiétude de connaître qui me talonnait aux bras d'Hortense, ni cette pudeur d'être connu qui me faisait quitter ceux de Gertie. Je n'avais pas besoin de sonder son âme, œuvre de mon génie, et le mot pudeur perdait pour moi tout sens devant elle, puisqu'elle était un reflet de moi-même. Je songeais avec orgueil de combien j'avais dépassé, en modelant cet être, les faibles imagi- nations des . hommes : s'éprendre d'une statue au point de l'animer n'était pas un exploit pareil à celui de dissi- per les ténèbres qui entouraient Viagère et d'appeler cette larve à la vie. L'existence avec elle n'avait pas l'amour pour but, elle était l'amour même. Rien ne me choquait chez ma maîtresse puisque tout en elle venait de moi. Pas un instant je ne pouvais cesser de l'aimer ni elle de m'adorer, par simple instinct de conservation. Ce n'est que dans le récit que j'emploie, en parlant de nous deux, le pronom personnel à la première personne du pluriel. Nous n'étions qu'une seule personne, une seule volonté, un seul amour. Aussi la volupté ne

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