Page:NRF 15.djvu/364

Cette page n’a pas encore été corrigée

358 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE.

fusse intéressé ou que je n'y intervinsse. Je m'enrichis, impudemment aux dépens de tout le monde, et tout le monde en retour m'en exprima sa gratitude. Je devenais une sorte de potentat économique, aussi indispensable à la vie que le soleil aux cultures. Je me grisais de ces succès rapides, mes seules préoccupations désormais. Toute la poésie pour moi se bornait aux colonnes de chiffres sous les rubriques DOIT et A\'OIi\ de mes registres. Je m'enivrais de nombres, je me saoulais de mesures. Tout ce qui concernait les évaluations de la durée, de l'espace, des quantités, me paraissait subitement la plus merveilleuse création humaine. L'assurance qu'aucune réalité ne les légitimait me pous- sait à l'admiration de ces unités que l'homme a méticu- leusement choisies de façon arbitraire pour servir de point d'appui à ses emprises sur la nature. Rien de plus pur, de plus exempt d'éléments étrangers que les idées mathématiques. Ce sont des vues de l'esprit, qui n'existent que si quelqu'un les imagine et qui n'ont ni fondement ni existence en dehors de celui qui les conçoit. Les plus beaux poèmes furent éclipsés à mes. yeux par les épures, par les machines. La pendule, étonnante réalisation d'hypothèse, qui continue, quand son propriétaire n'est plus là, à calculer une quantité qui n'a de réalité qu'en présence de lui, me bouleversait plus qu'elle ne faisait les peuplades auxquelles j'en montrais une pour la première fois. J'étudiais les sciences exactes comme j'eusse cherché à pénétrer les secrets du lyrisme. Un grand orgueil me naissait, que seul peut-être j'en sentisse la beauté. J'essayais parfois de la divulguer parmi quelques-uns de ces sorciers de

�� �