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sible qu’un homme laisse une trace de son passage sur la terre. »

Et comment serais-je scandalisé par tout ce nihilisme, alors que je suis bien obligé de constater qu’il n’est qu’un héritage et que ce ne sont pas ceux-là qui le professent qui en sont responsables ? — Au reste, après tout ce que ces dernières années nous ont permis de voir, est-il aujourd’hui si déplacé ?

Mais l’expérience est là ; je ne puis l’ignorer. L’art m’apparaît comme un fait humain, comme une fatalité de notre nature : nous y retomberons toujours. On peut me démontrer tant qu’on voudra qu’il est impossible : il est, il a toujours été, donc il sera. Et j’avoue bien volontiers que c’est là toute sa raison d’être.

Persuadé qu’il sera, je me demande à quel prix. Et c’est ici que la démonstration des Dadas me devient si précieuse. Les conséquences qu’ils ont tirées des principes régnants me paraissent inéluctables. Il faut donc que ces principes soient changés. Il faut que nous renoncions au subjectivisme, à l’effusion, à la création pure, à la transmigration du moi, et à cette constante prétérition de l’objet qui nous a précipités dans le vide. Il faut qu’un mouvement subtil de notre esprit l’amène à se dédoubler à nouveau ; il faut qu’il reprenne foi en une réalité distincte de sa puissance, qu’il arrive à distinguer à nouveau en lui un instrument et une matière. Il importe surtout que l’esprit critique cesse de nous apparaître comme essentiellement stérile et que nous sachions redécouvrir sa vertu créatrice, son pouvoir de transformation. Nous ne pourrons nous renouveler que si l’acte de l'écrivain se rapproche franchement de