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au reste, le plan, les personnages, cela m’est bien égal. » Oui, si l’on y regarde de près, Flaubert en somme n’écrit que pour donner un corps à certaines lubies dont il est hanté : le formidable troupeau de détails concrets qu’il met en branle et pousse devant lui, c’est simplement dans l’espoir que le débarrasseront en s’y précipitant les démons qui le travaillent[1]. Il est un des premiers chez qui la prédominance du moi créateur sur l’objet, chez qui l’effort pour soumettre le monde à l’esprit, pour forcer les choses à servir de substance à l’imagination, pour engager la nature dans le train des songes, deviennent flagrants.


Mais c’est avec le Symbolisme surtout que la résolution s’affirme, chez un grand nombre d’écrivains, de se délivrer de tout modèle et de ne plus faire de l’art qu’une sorte de substitut de la personnalité. Laissons de côté Mallarmé, pourtant si instructif, tout occupé qu’il est à « fixer » sa sensibilité en minutieux cristaux poétiques, à se déposer lui-même, par petits paquets, dans les mots. L’importance croissante qu’a prise Rimbaud et l’extraordinaire valeur exemplaire que lui attribuent aujourd’hui les jeunes gens ne tiennent-elles pas essentiellement à l’in-

  1. « Les accidents du monde, a-t-il écrit lui-même dans sa Préface aux chansons de Louis Bouilhet (citée par Brunetière dans le Roman Naturaliste, p. 150), dès qu’ils sont perçus, vous apparaissent comme transposés pour l’emploi d’une illusion à décrire, tellement que toutes les choses, y compris votre existence, ne vous semblent pas avoir d’autre utilité. » Jamais peut-être on n’a exprimé avec autant de lourdeur, de force et de naïveté un plus complet dédain pour le donné, une plus sereine irréligion de la réalité, une conception plus purement poétique du roman, une plus entière volonté de « fiction ».