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recherche ni aucune formule n’eussent permis de découvrir ni de fixer. « Essayons, c’est difficile, écrit Paul Éluard, de rester absolument purs. Nous nous apercevrons alors de tout ce qui nous lie. » Privons le langage de toute utilité ; assurons-lui une vacance parfaite, et nous verrons aussitôt l’inconnu le choisir, le gagner, le mettre à profit. Pour peu que nous ayons bien exactement cassé tous les liens préalables entre les mots, d’autres vont se former qui enfin nous apprendront quelque chose, — tant pis si nous ne pouvons pas dire quoi.

Sans doute c’est là dénier à la littérature tout caractère social. Car comment le lecteur pourra-t-il jamais savoir si ce que sa pensée rencontre est bien la même chose que ce que le coup de dés du poète a amené. Mais une telle certitude est-elle nécessaire ? « Il y a, dit André Breton, toute une série de malentendus acceptables », qui font qu’un poème ne restera jamais absolument solitaire. Presque fatalement, on se retrouvera plusieurs à « veiller auprès du cher corps endormi », chacun bien persuadé qu’il entend respirer et palpiter son enfant.

Plaire, émouvoir, caresser : autant de fins ridicules et qu’il suffit de descendre à envisager pour cesser d’être un poète. Écrire est un acte essentiellement privé. Tout au plus a-t-on le droit d’espérer tromper les autres, les induire en quelque mirage. Encore faudra-t-il que cela arrive sans qu’on y ait formellement pensé et par le seul miroitement, par la seule féconde fausseté des mots qui se seront fait jour.