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766 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

La suite symphonique composée pour les représentations projetées du Protée (le i'aul Clau lel, me paraît être l'œuvre la plus complètci que Darius Milhaud ait réalisée. La matière en est riche, les idées originales, le style vigoureux < t concis. On ne retrouve pas en elle cette impres- sion de continuelle improvisation, d'excessive facilité qui fait souvent la faiblesse de cet artiste trop doué. En fait, elle a été souvent remise sur le métier de 1913 à 1919. La dernière version pour grand orch' stre com- prend cinq parties. Après une Ouverture de caractère élégiaque, se déchaîne un tumultueux prélude qui se résout en un chaos sonore. Une fugue sonnée par les trompettes et les trombones ramène Tordre et la lumière au sein des ténèbres. Mais plus que la pastorale au rythme léger, à l'allure populaire et que le nocturne, j'aime le dernier morceau: un fl,nal massif, brutal, frénétique, haletant, secoué de sursauts comme une puissante machine à vapeur.

Milhaud écrit avec un plaisir particulier la musique de chambre. C'est la partie de son œuvre que je connais le moins, n'ayant entendu que le Printemps et la Pastorale à neuf et sept instruments, la Sonate pour piano et instruments à vent et le quatrième quatuor qui est une de ses œuvres maîtresses. On n'y trouve plus trace de la forme cyclique laquelle assurait l'unité du deuxième quatuor. Comme dans un tri- ptyque les deux volets mettent en valeur le panneau central, le premier mouvement modéré, de teinte mélancolique et le final vif et gai, tous deux fort courts, font ressortir par contraste la puissante désolation du funèbre, au rythme obstiné.

Milhaud a écrit un nombre incroyable de mélodies. Il y en a de très belles. J'en connais d'exécrables. Tout lui est bon. Ne s'est-il pas avisé un jour de mettre en musique des prospectus de machines agricoles et de traduire d'une manière surprenante la poésie particulière des puis- sants appareils qui fauchent et moissonnent? J'aime surtout les mélo- dies composées sur des textes populaires Juifs et sur des poèmes de Paul Claudel ou de Tagore. Il y marque une réaction contre le système de la déclamation lyrique, il revient au chant, à la mélodie organisée. Certes celle-ci n'a plus que de très lointains rapports avec la torme aux dispositions symétriques qui charmait nos pères, mais elle n'en a pas moins sa vie indépendante. Elle n'est plus l'esclave des mots. Si l'on ne se laisse pas déconcerter par l'emploi d'une polyphonie redoutable aux oreilles novices et par les tours de phrases mélodiques et harmoniques, dont les Strav^^insky et les Schœnbergont les premiers introduit l'usage dans la langue musicale, on reconnaîtra en ces mélodies un retour à l'esthétique de Schumann et de Mendelssohn réalisée avec des procé- dés nouveaux.

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