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RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 733

qu'on se fait de toute revue quand on la regarde du dehors. L'histoire de la Revue des Deux-Mondes mérite- rait d'être écrite objectivement avant les panégyriques officiels que son centenaire fera écïore dans dix ans. Son misonéisme académique et la haine obstinée dont elle a poursuivi par exemple Flaubert ou les Concourt, éveillent-il moins l'idée de coterie que la gérontophagie de l'ancienne Revue Blanche? Et pourtant sur le papier saumon comme sur le papier blanc, il n'y a en somme, avec les caractères de l'humanité ordinaire, qu'une cer- taine idée bienfaisante de groupement, de collaboration, d'amitié, entre esprits réunis par des goûts et par des antipathies communes. La Revue Blanche essayait d'im- poser Alfred Jarry juste comme Va Revue des Deux- Mondes essayait d'imposer Melchior de Vogue : pas plus ni pas moins. Toutes deux étaient les milieux naturels des deux écrivains, les deux bateaux sur les- quels ils devaient naturellement monter pour aller à la notoriété. Ubu-Roi avait fait au moins autant de bruit que le Roman Russe. Aujourd'hui le Roman Russe est un peu oublié, tandis que le père Ubu semble bien en train d'installer son type aussi durablement que Homais et que Prudhomme. N'est-ce rien que cela ? M. Truc regrettera peut-être le terme d' « humoriste minable » quand il saura que la faim rendait en effet très minable le pauvre Jarry, jusqu'au moment où elle le fit littérale- ment mourir. Quant à M. Gustave Kahn, qui a joué un rôle important dans l'évolution du vers, et dont la poésie n'éveille guère l'idée d'acrobatie, M. Truc en prend simplement occasion pour attester que son oreille (et c'est permis à toute oreille) est fermée au vers libre : le lecteur qui, dans les œuvres de Viélé-Griffin ou de Francis Jammes saute, soulagé, sur tel sonnet régulier égaré là par l'auteur ressemble au Français dépaysé qui en Hollande ou en Espagne reconnaît avec attendrisse- ment — enfin ! — un compatriote, colombe de l'arche et palmier du désert, et ne peut plus s'en séparer. Il n'a

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