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704 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Elle disait : «Je suis une brosse à reluire et ma mère était une brosse à reluire. Mon père est mort pour avoir trop bu et ma petite sœur Katheline était si belle que ma mère ne voulait jamais la laisser seule avec les hommes. Ma petite sœur allait à l'école chez les bonnes sœurs. Elle apprenait tout ce que l'on voulait et lisait en cachette des livres que des baigneurs de la ville lui prêtaient, des romans d'amour, quoi. Moi je n'ai jamais lu. Ma sœur lisait tout. Un jour, elle avait douze ans, un lancier qui était ivre, la viola dans un chemin creux. Tout de suite il regretta son acte. Il s'arrachait les cheveux par poignées et sautait d'un pied sur l'autre. Un peu pâle, Katheline le regardait, assise sur le talus. Elle ne pensait pas à se sauver. Elle ne criait pas... Elle ne pleurait pas.

— Drôle d'enfant, dis-je pour participer à la conver- sation.

— Vous pouvez le dire, Monsieur, quand vous saurez ce qu'elle a répondu au lancier.

— Vous m'intriguez, Katje.

— Oui, et comme le soldat affolé se tapait sur les genoux de désespoir, Katheline lui dit de sa petite voix pointue: «Comme vous allez me mépriser maintenant.» Telle était ma petite sœur, Monsieur, aujourd'hui elle a dix-sept ans. Elle est dactylographe à Amsterdam. C'est une jeune fille élégante. On s'arrête devant les vitres de la banque pour la regarder. Elle est trop belle et trop jeune pour avoir une auto, les jeunes et jolies femmes ont rarement une auto, mais vous verrez qu'elle aura la sienne quand elle aura plus de quarante ans. Il ne faut pas être pressée, n'est-ce pas, à chaque âge ses plaisirs.

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