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SUR L’INTRODUCTION A LA MÉTHODE DE LÉONARD DE VINCI
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préhension souveraine, et ce qu’il partage avec le vrai savant, c’est justement ce scepticisme à base de probité, inévitable chez ceux qui voient la science se faire, se défaire et se refaire incessamment sous leurs yeux, — spectacle qui n’a pu qu’accroître chez Valéry la méfiance à l’égard de l’idée de vérité qu’il a dû d’ailleurs toujours tenir en suspicion. Bien loin qu’elle doive lui fournir l’emploi, — lui faciliter l’exercice de ses facultés créatrices, — il semble au premier abord que la culture scientifique ne puisse qu’adjoindre un nouveau principe de stérilité, — qu’affiler le tranchant du nihilisme. Or, c’est précisément l’opposé qui se produit, et je ne sais si dans l’histoire de notre art littéraire on trouverait un autre cas d’une aussi fascinante singularité. De son contact avec la science Valéry retient l’idée des rapports,

    celui qui a été formé, qui s’est déposé en lui par trente ans de contact ininterrompu avec ses œuvres. L’intérêt d’une pareille confrontation vient de ce qu’on y saisit à vif l’opposition entre le critique d’art pour qui le point de départ demeure, et doit toujours demeurer, l’œuvre elle-même, et « l’homme de l’esprit » qui part de ridée qu’il se fait d’une certaine puissance intellectuelle : l’œuvre accomplie, tel est l’objet sur lequel s’exercent les facultés de Berenson ; l’origine de l’œuvre, voilà le seul problème qui passionne vraiment Valéry. Il le reconnaît d’ailleurs lui-même : « J’avais la manie de n’aimer dans les œuvres que leur génération ». Le jugement final de Berenson sur Léonard est un jugement plein de restriction et des restrictions les plus nuancées, les plus finement motivées. L’essai est de 1916 ; vingt ans plus tôt, lorsque Berenson écrivait The Florentine Painters of the Renaissance, Valéry et lui auraient été plus près de s’entendre. Berenson concluait alors les quelques pages consacrées à Léonard en insistant sur la gratitude que nous devions toujours lui garder pour avoir élargi le cadre des possibilités du génie humain, pour nous rappeler sans cesse par son exemple qu’ « avant toute chose le génie est essentiellement énergie mentale, »