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SI LE GRAIN NE MEURT 669

affectait d'attribuer aux figues. De vrai, le désordre était dû à de la tuberculose intestinale ; et ma mère, je crois, le savait; mais la tuberculose est une maladie qu'en ce temps on prétendait guérir en ne la reconnaissant pas. Au reste mon père était sans doute déjà trop atteint pour qu'on pût espérer encore. Il s'éteignit assez doucement le 28 octobre de cette année (1880).

Je n'ai pas souvenir de l'avoir vu mort; mais peu de jours avant sa mort, sur le lit qu'il ne quittait plus. Un gros livre était devant lui, sur les draps, tout ouvert, mais retourné, de sorte qu'il ne présentait que son dos de basane ; mon père avait dû le poser ainsi au moment où j'étais entré. Ma mère m'a dit plus tard que c'était un Platon.

J'étais chez Vedel. On vint me chercher ; je ne sais plus qui, Anna peut-être. En route j'appris tout. Mais mon chagrin n'éclata que lorsque je vis ma mère en grand deuil. Elle ne pleurait pas ; elle se contenait devant moi ; mais je sentais qu'elle avait beaucoup pleuré. Je sanglotai dans ses bras. Elle craignait pour moi un ébranlement nerveux trop fort et voulut me faire boire un peu de thé. J'étais sur ses genoux ; elle tenait la tasse, en levait une cuillerée qu'elle me tendait, et je me souviens qu'elle disait, en prenant sur elle de sourire :

— Voyons ! celle-là va-t-elle arriver à bon port ?

Et je mé sentis soudain tout enveloppé par cet amour, qui désormais se refermait sur moi.

ANDRÉ GIDE

D'autres fragments du même ouvrage par attront ultérieurement dans la Nouvelle Revue Française.

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