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668 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Mais ce qui m'était plus douloureux encore c'étaient les rires des autres, leurs quolibets, et les applaudisse- ments qu'ils adressaient à mon agresseur.

Au demeurant je n'aurais pas plus aimé donner des coups que je n'aimais d'en recevoir. Tout de même, chez Vedel, il y avait un grand sacré rouqjuin au front bas, dont le nom m'est heureusement sorti de la mémoire, qui abusait un peu trop de mon pacifisme. Deux fois, trois fois, j'avais supporté ses sarcasmes ; mais voilà que, tout à coup, la sainte rage me prit ; je sautai sur lui, l'empoignai ; les autres cependant se ran- geaient en cercle. Il était passablement plus grand et plus fort que moi ; mais j'avais pour moi sa surprise; et puis je ne me connaissais plus ; ma fureur décuplait mes forces ; je le cognai, le bousculai, le tombai tout aussitôt. Et, quand il fut à terre, ivre de mon triomphe je le traînai à la manière antique, ou que je croyais telle, je le traînai par la tignasse dont il perdit une poignée. Et même je fus un peu dégoûté de ma vic- toire, à cause de tous ces cheveux gras qu'il me laissait entre les doigts ; mais stupéfait d'avoir pu vaincre ; cela me paraissait auparavant si impossible qu'il avait bien fallu que j'eusse perdu la tête pour m'y risquer. Le succès me valut la considération des autres et m'assura la paix pour longtemps. Du coup je me persuadai qu'il est bien des choses qui ne paraissent impossibles que tant qu'on ne les a pas tentées.

Nous avions passé une partie du mois de Septembre aux environs de Nîmes, dans la propriété du beau-père de mon oncle Charles Gide, qui venait de se marier. Mon père avait rapporté de là une indisposition qu'on

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