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662 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

longs, les yeux très bleus ; sa voix était musicale, que rendait chantante un léger accent. Une sorte de poésie se dégageait de tout son être, qui venait je crois de ce qu'il se sentait faible et cherchait à se faire aimer. Il était peu considéré par les copains et participait rare- ment à leurs jeux ; pour moi, dès qu'il me regardait, je me sentais honteux de m'amuser avec les autres, et je me souviens de certaines récréations où, surprenant tout à coup son regard, je quittais tout net la partie pour venir auprès de lui. On s'en moquait. J'aurais voulu qu'on l'attaquât, pour avoir à le défendre. Aux classes de dessin, où il est permis de parler un peu à voix basse, nous étions l'un à côté de l'autre; il me disait alors que son père était un grand savant très célèbre ; et je n'osais pas l'interroger sur sa mère, ni lui demander pour quelle raison lui se trouvait à Paris. Un beau jour il cessa de venir, et personne ne sut me dire s'il était tombé malade ou reparti en Russie ; ou plutôt une sorte de pudeur ou de timidité me retint de questionner les maîtres qui peut-être auraient pu me renseigner, et je gardai secrète une des premières et des plus vives tris- tesses de ma vie.

Ma mère prenait grand soin que rien, dans les dépen- ses qu'elle faisait pour moi, ne me vînt avertir que notre situation de fortune était sensiblement supérieure à celle des Jardinier. Mes vêtements, en tous points pareils à ceux de Julien, venaient comme les siens de la Belle Jardinière. J'étais extrêmement sensible à l'habit et souffrais beaucoup d'être toujours hideusement fagoté. En costume marin avec un béret, ou bien en complet de velours, j'eusse été aux anges ! Mais le genre « m arin »

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