Page:NRF 14.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’impressionnisme. Il regarde en souriant dans sa barbiche avec une ironie bienveillante certains musiciens s'engager précipitamment dans la ruelle du cubisme. Il sait que c'est une impasse et qu'ils feront demi-tour comme les peintres qui les y ont précédés. Lui se soucie peu de les suivre, il se recueille et travaille. L'œuvre qu'il vient de nous donner ne ressemble à rien de ce qu'on connaît et ne paraît pas pouvoir être imitée, mais elle renferme une grande leçon de simplicité et de sagesse.

Satie a fait choix dans le dialogue de Platon de trois fragments qui lui ont paru propres à l'expression musicale : l'éloge de Socrate par Alcibiade dans le Banquet, l'entretien de Socrate et de Phèdre au bord de l'Ilissus (Phèdre) et le récit de la mort du philosophe dans le Phédon. Il a préféré la traduction de Victor Cousin en raison de son harmonieuse simplicité. Satie a voulu écrire une œuvre largement humaine, sans prétention à la couleur locale, sans recherches savantes, ni pédantes ; une musique d'une gravité souriante, d'une religieuse sérénité comme la parole même de Platon, et j'estime qu'il a pleinement réussi.

On ne saurait comparer Socrate à aucune œuvre de la littérature musicale moderne. D'instinct Satie rejoint à travers les âges les créateurs de la monodie dramatique dont sans doute il connaît à peine les noms : Jacopo Peri, Caccini, Emilio del Cavaliere… Comme eux il s'efforce de concilier dans le chant les exigences contradictoires du texte et de la musique : la mélodie renonçant à faire un sort à chaque mot, épouse le contour général de la phrase, se conforme à son rythme, à sa sonorité, en renforce le pouvoir expressif.


Mesme l'air des beaux chantz inspirez dans les vers
Est, comme en un beau corps, une belle âme infuse.


C'est un tour de force que d'avoir pu conférer à la parole de Platon une efficacité plus grande, que d'avoir pu mettre en musique d'importants fragments des Dialogues, en ne les défigurant par aucune retouche, aucune surcharge, en laissant au texte sa pureté, son harmonieuse nudité.

La conception du rôle de l'accompagnement est à peu près celle que les maîtres de la Camerata Bardi assignaient au Basso Continuo