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590 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Quinze jours ! Voilà qui semble long pour Ségard^ surtout quand il faut vivre auprès de Thérèse, la servante de l'auberge. Ségard, sans trop le dire, rêve moins de ce Canada dérisoire que d'une petite maison avec une femme, une belle et bonne fille, comme cette Thérèse qui ne dirait pas non, peut-être...

Mais Ségard parle mal aux femmes, il ne sait pas brusquer le destin. Bastien, au contraire... Tout cela ne pèse pas lourd dans ses fortes mains de mâle audacieux : un boniment bien troussé, un baiser dans le cou, une bouteille de Champagne, et voilà Thérèse à merci. Surtout, que Ségard ne sache rien !

Ségard finira par savoir. La sirène du paquebot Tenacity annonce le départ. Ségard, le cœur gros, répond à l'appel. 11 répond seul : Bastien a filé, enlevant Thérèse, au mépris de toutes les résolutions, de toutes les promesses et de tous les Canada. Et Ségard qui n'aspi- rait qu'à rester, Ségard monte, seul et désespéré, sur le bateau. Une fois de plus, les destinées ont tiré celui qui refusait.

Voilà, en trop peu de mots, la substance. Mais quelle pulpe vivante, savoureuse et charnue autour de cette armature ! et quel témoin subtil et profond du drame en ce Hidoux, vieil ivrogne affec- tueux et narquois !

Des hommes vrais, avant tout. Ils ne sont pas là pour défendre une cause, ou pour affirmer une doctrine, ou pour exposer une esthétique. Ils ne sont pas poussés sur la scène pour les besoins d'une idéologie tyrannique. Ils paraissent, s'agitent et passent, bien nets, bien nus, dessinés d'un crayon méticuleux et fort. Nous les connaissons bien quand ils ont parlé ; pourtant ils n'ont dit que de pauvres phrases, ils n'ont usé que des mots les moins rares, ils nous ont toutefois remués jusqu'au plus profond de nous-mêmes.

��On s'est souvent trompé sur ce que peut et doit être la profon- deur au théâtre. Parmi les tentatives modernes de certains écrivains dramatiques qui abordent la scène avec le désir de faire œuvre noble et durable, je distingue, à ce sujet, deux erreurs tout à fait fondamentales.

Tout d'abord l'erreur des dramaturges qui s'efforcent d'.itteindre

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