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NOTES • 583

contre les autres des hommes qui souffrent de la même manière hâte l'accomplissement de ce dessein mystérieux. Les liens peuvent se renouer, qui naissent de la communion intellectuelle et morale. A « l'âme d'Europe, appauvrie et brûlée par des siècles d'une dépense forcenée » il faut seulement l'apport d'autres races. Il faut élargir l'idéal ancien et rêver d'une « humanité universelle où les races européennes du Vieux et du Nouveau Monde mettent en commun le trésor de leur âme, avec les vieilles civilisations de l'Asie — de de l'Inde et de la Chine — qui ressuscitent ». Et demain comme hier, ceux d'entre les hommes qui sont des consciences libres «c'est- à-dire libres de toute contrainte, de tout préjugé, de toute idole, de tout dogme de classe, de caste, de nation, de religion» et ne relèvent que de soi, constitueront à travers l'espace et le temps un seul peuple, un peuple d'hommes annonciateur de l'humanité à venir.

Il est curieux de remarquer que cette thèse renferme des thèmes fondamentaux analogues à ceux que développent aujourd'hui la plupart des esprits. S'il ne jugent pas convenable de porter sur cinq années de destruction un jugement moral susceptible de frois- ser certains sentiments de la conscience collective, ils estiment néanmoins qu'au cours de cinq années aucune atteinte ne fut por- tée à l'idéal de leur jeunesse. Avec Romain Rolland, ils croient à la « Culture », au caractère international et universel de la science et de la morale. Ils croient à la liberté de l'intelligence, à la possibilité de renouer les liens brisés, de reprendre les échanges interrompus. C'est que le drame intérieur dont Romain Rolland fut le protago- niste est le drame de toute une génération. Cultivée, délicate, éprise de vie spirituelle dans une. époque d'industrie et d'amoralisme où. rien n'équilibre les puissances d'argent, elle ne pouvait que mépri- ser le monde moderne, le condamner secrètement et rompre avec lui. Ne trouvant plus, dans une France ou l'agitation politique supplée mal au défaut de vie sociale, un foyer suffisamment intense de vie intellectuelle, elle partit en pèlerinage à travers l'Europe pour recueillir ici et là l'expérience de ceux d'entre les hommes qui ont le privilège de transfigurer la réalité quotidienne et de créer. Elle allait à Kant à Beethoven, à Wagner, à Tolstoï. La vie des hommes illustres, un système moral, une symphonie, un drame musical, l'exemple d'un vieillard partant en vagabond au-devant

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