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NOTES 47^

vide interconscient, où comme une matière de nouvelle espèce, dis- tribuée en amas, en traînées, en systèmes, coexistait la Parole !

« Cette fixation sans exemple me pétrifiait. L'ensemble me fascinait comme si un astérisme nouveau dans le ciel se fût proposé ; comme si une constellation eût paru qui eût enfin signifié quelque chose ! — N'assistais-je pas à un événement de l'ordre universel et n'était- ce pas, en quelque manière, le spectacle idéal de la Création du Langage qui m'était représenté sur -cette table, dans cet instant, par cet être, cet audacieux, cet homme si simple, si doux, si naturelle- ment noble et charmant?...

Et plus loin :

« Laissons mes souvenirs; et je n'invoquerai pas maintenant mes propres réflexions sur ce poème : je prétends qu'il ne faudrait pas m'en croire. L'intention de Mallarmé, Mallarmé lui-même l'a décla- rée. Nous tenons de sa. main ce qu'il voulut faire : essayer d'un « emploi à nu de la pensée » ; tenter d'en « fixer le dessin ». Il rêva d'un instrument spirituel pour l'expression des choses de l'intellect et de l'imagination abstraite.

« Toute son invention, déduite d'analyses du langage, du livre, de la musique, poursuivies pendant des années, se fonde sur la considération de \a. page, unité visuelle. Il avait étudié très soigneu- sement (même sur les affiches, sur les journaux), l'efficace des distributions de blancs et de noir, l'intensité comparée des types. Il a eu l'idée de développer ces moyens, consacrés jusqu'à lui à exciter grossièrement l'attention, ou à plaire comme ornements naturels de l'écriture. Mais une page, dans son système, doit, s'adressant au coup d'œil qui précède et enveloppe la lecture « intimer » le mou- vement de la composition ; faire pressentir, par une sorte d'intuition matérielle, par une harmonie préétablie entre nos divers modes de perception, ou entre lès différences de marche de nos sens, — ce qui va se produire à l'intelligence. Il introduit une lecture superficielle^ qu'il enchaîne à la lecture linéaire ; c'était enrichir le domaine litté- raire d'une deuxième dimension. Vouloir donc séparer de ce poème son élément visuel, n'est-ce pas vouloir l'atteindre dans son essence? »

PAUL VALWY

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