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NOTES 47?

cessait de créer dans la joie. « En promenade, il imaginait pour nous et nos amis des aventures de toute sorte». Etait-ce une his, toire d'amour qu'il inventait? Soudain on découvrait que le héros ou l'héroïne était particulièrement inapte à jouer le rôle qu'il s'était assigné, et où il s'obstinait aveuglément, proie de l'esprit comique.

Parfois, surtout après 1880, les histoires étaient plus sérieuses, tragiques même, comme celle-ci qu'il conta un soir d'été, au cré- puscule. « Deux amis aimaient la même femme ; ce fut le plus riche qu'elle épousa, mais, après des années, l'autre découvrit qu'il n'avait pas cessé d'être le préféré. Volontiers la femme de son ami aurait tout quitté pour le suivre, mais lui ne voulut pas consentir à trahir celui qu'il aimait comme un frère, et de désespoir il se tua. Comme il ne laissa aucun écrit pour expliquer son acte, la femme dut apprendre à son époux le sacrifice de l'ami. » Et Lady Butcher ajoute : « Cette histoire, entendue au crépuscule, me parut pleine de dignité et de beauté, avec des passages de réelle poésie.»

Jusqu'à la fin de sa vie, Georges Meredith ne cessa d'inventer- Des romans entiers continuaient à se dérouler dans son imagination, s'organisant en scènes, se divisant en chapitres. Mais il avait gagné son repos, et depuis 1893 jnsqu'à sa mort, en 1909, il n'écrivit que des vers.

Nous ne pouvons songer à tout citer — nous en avons dit assez pour faire ressortir l'intérêt de ces Souvenirs. Ils sont écrits sans prétention, d'un style simple,, ferme et franc, qui a le naturel de la parole, mais d'une parole nullement hésitante, donnant d'ins- tinct la note juste. Lady Butcher n'a pas été pour rien nourrie de Shakespeare, et en outre élève de Meredith. Ce livre-ci nous donne l'envie de connaître le roman qu'elle publia jadis, cette Eunice Anscomhe, que son grand ami lut en manuscrit, corrigea et émonda. Elle a su faire revivre le poète au naturel, dans le cercle familial, ctitouré des siens et des collines qu'il aimait. Tous ceux qui aiment Meredith, qui lui doivent un peu de leur courage, de leur patience, de leur joie de vivre, seront heureux de lire ces Souve- nirs et reconnaissants à Lady Butcher de les avoir écrits.

RENÉ GALLAND

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