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45^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

fils à la pauvre reine Hermione ; il l'accuse, l'insulte et la jette en prison. La reine n'a pas le don des larmes ; elle ne peut que pro- tester, que chanter de sa voix très douce «l'affliction d'honneur qui la point ». Nous avons devant nous une chrétienne dont le malheur fait une sainte ; c'est à son tour de remplir le tableau et de ba- lancer l'injustice par le poids des vertus qu'elle va montrer. En vain les seigneurs supplieront leur maître et en particulier, dans une admirable invective, l'honnête Antigonus: Léontès n'en démor- dra pas. S'il n'a pas vu de ses yeux, il sent, il sait, il croit. Pour plus de sûreté, il a envoyé deux messagers à Delphes interroger l'oracle ; mais que peut bien faire Apollon contre son démon déchaîné ? Pure formalité ; Léontès n'a ni Dieu ni loi : il n'a que passion au cœur. — Voici déjà, peut-on dire, trois caractères : Léontès et Hermione, au second plan Antigonus ; le dramaturge, maintenant, va «faire sortir» Paulina, la femme de ce dernier. Aussi timide en son loyal courage est le mari, autant la femme a d'entrain, d'esprit de répartie, d'indépendance, de bec et d'ongles. Elle se présente au geôlier, obtient une entrevue avec une des sui- vantes de la reine, et rapporte le petit enfant qui vient de naître, dans l'espoir d'attendrir le cœur insensible du roi. Celui-ci est cou- ché; on fait autour de lui silence; il ne peut trouver de repos; il se tourne et retourne ; il tourne et retourne en sa tête ses projets de vengeance. Polixénès est hors d'atteinte, mais la reine paiera pour deux; savoir qu'elle ne vit plus sera déjà un grand soulagement pour la pensée du roi malade. « Supprimons la cause du mal, et plus de mal. » Raisonnement humain et pitoyable. Rien, jamais, ne pourra guérir ce tourment ; le mal est fait. Déjà nous apprenons que le jeune prince Mamilius est tombé dans une pernicieuse tris- tesse ; nous l'avons assez vu pour nous intéresser à lui; ainsi, même derrière la scène, le drame continue. — Survient Paulina qui force la porte, terrorise les seigneurs et en particulier son mari, présente le nouveau-né à Léontès, est repoussée, revient au roi, insiste, lui jette à la face ses vérités ; se fait entendre, mais non croire, et sort laissant là le marmot. — Scène vulgaire, mais admi- rable, par le poids de sa vérité. Nous sommes loin de ce réalisme voulu qui désenchante l'art et qui déforme la nature. La force d'une belle situation bien simple, traitée sans détours et à fond, soutient

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