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432 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

un furtif éclairage de plein jour qui distingue des choses qui passent une réalité plus durable. »Au huitième vers, le passage de l'impar- fait au subjonctif présent, quand la stricte grammaire demanderait l'imparfait du subjonctif, exprime exactement la même transition vers une réalité plus durable, la réalité annuelle d'une nature con- tinue et généreuse, analogue à la permanence de la vue sur la mer, au haut de la colline.

Ainsi les apparentes inventions grammaticales de Flaubert se re- trouvent chez les écrivains qui l'ont précédé, et cela parce qu'elles ne forcent jamais la langue et qu'elles ont dû être employées, lors- qu'ils en avaient l'occasion, par les maîtres qui connaissaient les ressources de cette langue. Si pourtant elles font figure d'inventions grammaticales, c'est que Flaubert le premier les a employées systé- matiquement, consciemment, pour exprimer un sentiment des choses humaines, vues de l'intérieur, qui lui était propre, et cette invention authentique nous paraît accompagnée d'une invention grammaticale qui l'est moins.

11 en est de même de l'emploi du participe présent. Jusqu'à Flau- bert les écrivains français, qui usent abondamment et normalement de l'adjectif verbal et du gérondif, répugnent un peu à l'emploi du participe présent, terme invariable et sans expression, flottant entre le verbe et l'adjectif mais les remplaçant mal, et inadapté, mou et gauche. Les écrivains classiques, qui vont hardiment parmi les qui et les que, terreur de Flaubert, s'en passent facilement et le rempla- cent volontiers par un verbe. Mais aussi ils savent à l'occasion uti- liser cette faiblesse et en faire ce que la rhétorique appelait une beauté. Ils emploient le participe présent comme une sorte de ton mineur, quand il s'agit d'exprimer quelque chose de faible, ou de commençant ou de finissant. Flaubert en eût, je crois, aimé cet emploi délicieux dans le Télémaque : « En même temps, j'aperçus l'enfant Cupidon, dont les petites ailes s'agitant le faisait voler autour de sa mère. » Suivez le crescendo, sentez l'antithèse rythmique dans cette phrase de La Bruyère : « Se formant quelquefois sur le ministre ou sur le favori, il parle en public de choses frivoles, du vent, de la gelée; il se tait au contraire et fait le mystérieux sur ce qu'il sait de plus important, et plus volontiers encore sur ce qu'il ne sait point. » Racine écrit :

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