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SI LE GRAIN NE MEURT ^ 413

fance encore, un spectacle particulièrement savoureux. Oui, j'ai pu voir encore les derniers représentants de cette génération de tutoyeurs de Dieu assister au culte avec leur grand chapeau de feutre sur la tête, qu'ils gardaient durant toute la pieuse cérémonie, qu'ils soulevaient au nom de Dieu lorsque l'invoquait le pasteur, et n'enle- vaient qu'à la récitation de « Notre Père ». Un étranger s'en fût scandalisé comme d'un irrespect, qui n'eût pas su que ces vieux huguenots gardaient ainsi la tête cou- verte en souvenir des cultes en plein air et sous un ciel torride, dans les replis secrets des garrigues, du temps que le service de Dieu selon leur foi promettait, s'il était surpris, un inconvénient capital.

Puis, l'un après l'autre, ces mégathériums disparurent. Quelque temps après eux survécurent encore les veuves. Elles ne sortaient plus que le dimanche pour l'église, c'est-à-dire aussi pour s'y retrouver. Il y avait là ma grand'mère, Mme Abauzit son amie, et deux autres vieil- lardes dont je ne sais plus le nom. Un peu avant l'heure du culte, des servantes, presque aussi vieilles qu'elles, apportaient les chaufferettes de ces dames, qu'elles po- saient devant leurs bancs.

A l'heure précise, les veuves faisaient leur entrée, tan- dis que le culte commençait. A moitié aveugles elles ne se reconnaissaient point avant la porte, mais seulement une fois dans le banc. Tout au plaisir de se revoir, elles commençaient en chœur d'extraordinaires effusions, mélange de congratulations, de questions et de réponses, chacune sourde comme un pot n'entendant rien de ce que lui disait sa commère, et leurs voix conjuguées, durant quelques instants, couvraient complètement celle

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