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366 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Conduira-t-il les pauvres ou en assurera-t-il le mas- sacre ?

Les pauvres à jamais, l'inquiétude des pauvres, le goût et le dégoût des pauvres, les cris des pauvres ré- gneront sur sa vie.

Il a porté à ses lèvres, satisfaisant l'envie redoutable, la coupe infâme et merveilleuse. A la fontaine Wallace — enfin ! — il a bu l'eau fade dans le gobelet de fer en forme de sein coupé, déformé sur ses bords par les lèvres des pauvres.

— Cochon ! lui crie l'écolier sage. Les dragons passent.

L'écolier court rapporter à son père la nouvelle de la bagarre. Il est ému d'avoir été le témoin d'un acte pathé- tique dont ses professeurs décideront s'il convient d'en faire, pour l'histoire leur servante, un événement im- portant. Il n'est pas ému d'autre chose. Est-ce bien certain ? Des bouffées de leçons embrasent ses oreilles.

— Sous le règne de...

II oublie le nom du prince. En courant, il se chante lèvres closes :

— Sous le règne de, sous le règne de, les guerres de religion désolèrent la France... Sous le règne de, sous le règne de, la patrie fut déchirée par des guerres civiles...

Lèvres closes, car entre ses dents il vient de se planter la rose ramassée sous les jambes des chevaux.

On ne sait pas si c'est une rose envolée du panier de la voleuse sanctifiée par le martyre, ou la rose chue du képi du colonial, du vieux soldat qui, seul devant le zinc du bistro, achève de boire le fox, paisiblement.

ANDRÉ SALMON

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