Page:NRF 14.djvu/312

Cette page n’a pas encore été corrigée

306 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

peut s'expliquer l'embrasement qu'il provoqua au cœur des artistes les plus doués de l'époque qu'en le considérant comme une manifestation instinctive de cette nécessité supérieure et pour ainsi dire immanente du renversement des valeurs pic- turales, dont il fut, en quelque sorte, le premier aveu. — En effet : Delacroix, acharné à retrouver le secret de la " grande peinture " avait épuisé toutes les ressources qu'offrent les musées à l'inexpérience du peintre moderne. Ses travaux, par ailleurs souvent admirables, ne furent cependant que des redites apâlies des ouvrages traditionnels, que seul un sens dramatique nouveau, et qui n'appartient qu'au grand peintre romantique, parvenait à moderniser. Mais, ce qui avait été fait demeurait indépassable, malgré ses efforts pour prolonger les Maîtres. Les moyens classiques parurent donc aux héritiers de Delacroix désuets, incapables d'exprimer leur enivrement enfantin d'écoliers lâchés dans un jardin que les " Mille mer- veilles de la Science " leur faisaient paraître sans frontières. Tout oublier, et tout demander à la nature fut le geste de ceux qui possédaient une sensibilité intacte. Solution simpliste, qui eût compromis le sort de la peinture si des héros-transfuges ne fussent apparus, qui, las d'interroger la nature des yeux, songèrent enfin à l'interroger par l'esprit. Hérétiques au sein de l'Hérésie, ils désertèrent le domaine inférieur des sens où se complaisaient les " purs " de l'école nouvelle pour peu à peu remonter vers les régions de l'intelligence. Cézanne et Renoir comprirent, chacun de leur côté, que la reproduction scienti- fique ou spontanée de quelques faits matériels ne constitue pas un langage " digne " et que s'il est bon de toucher terre, ce n'est pas pour s'y enliser, mais pour rebondir.

" A mon avis, la principale cause de la décadence des métiers

c'est l'absence d'idéal. La main la plus habile n'est jamais que

la servante de la pensée. " Voici une phrase authentique de Renoir, qui nous éclaire sur le peintre des baigneuses, mieux que les phrases puériles que chacun s'évertue à citer. Il est important de signaler avec quel soin minutieux la plupart de ses commentateurs ne célèbrent en Renoir que le peintre instinctif, rebelle à tout calcul et n'exerçant aucun contrôle sur

�� �