Page:NRF 14.djvu/255

Cette page n’a pas encore été corrigée

L ISOLEMENT 249

dans la ville, et je serai alors tout pareil à un homme qui se lève après avoir dormi comme une souche à côté d'un bouquet de lilas, dans une pièce close.

Je retournerai voir dans la Grande Forêt le coin que nous avions surnommé " le Stage ", moi et quelques autres à qui la terre équatoriale s'offrait toute nouvelle. Et nous disions de ces quelques arbres où vers la fin de la journée nous avions pris l'habitude de nous réunir pour un bavar- dage sans vie : " Nous accomplissons là une manière de stage ".

Car en effet nous y prenions le contact de la Grande Forêt, nous y venions pour sentir sur notre dos cette ombre qui avait le poids de tous les troncs visqueux et dans laquelle notre vie allait passer sous peu ; pour entendre le sol pourrir invisible sous les feuilles noires entassées ; pour avoir dans les oreilles ce lointain clapotis qui est l'écho de la Grande Forêt. Dans une lumière verdâtre les troncs moussus étaient des pilliers rougeâtres; des lianes pendaient à terre ; de tronc à tronc d'immenses filets noirs étaient tendus ; tout autour de nous, à notre droite, à notre gauche, devant, derrière, des gouttes d'eau tom- baient des branches et à chaque petit choc d'une goutte contre les feuilles du sol mes oreilles vibraient ; aux premiers instants du long séjour quotidien parmi les arbres " du Stage " il n'y avait que cette vibration des tympans, puis à la longue s'y joignait comme une légère crispation de mon cervelet. Il me semblait que le temps était marqué par une monstrueuse clepsydre. Ah ! les étranges petites chauves-souris forestières, qui à l'instant où nous quittions " le Stage ", commençaient à voler ! Elles sautillaient sur leurs ailes dans le vide ; après trois sursauts chacune faisait

�� �