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240 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

bouche, et le tendait à la bonne : " Ah !.. le bon coup de fouet !.. ", puis un rire des yeux bridait ses paupières qui se rapprochaient et il ajoutait : " Alors, la belle ?.. toujours de gros nichons !.. " Invariablement, chaque matin, cet homme apostrophait la bonne en ces termes. A travers les éclats de rire du facteur, j'entendais cette invariable réponse de la fille : " Taisez-vous donc, grand insolent... Ça sera toujours pas pour vous, vous savez..."

Et elle riait aussi.

Tous les deux se fixaient, droit dans les yeux, une seconde ; puis le postier reprenait : " Ah ! oui... le bon coup de fouet !.. et maintenant... hue !.. dia !.. " et, virant sur ses talons, il nous tournait le dos.

La canne sur laquelle s'appuyait Martel me fit revivre tous ces instants de mon enfance ; je ne vis d'abord qu'elle parce que, aussitôt, le facteur d'autrefois fut présent sur ce quai de gare exotique. Alors, Martel et son boy, continuant leur marche, s'éloignèrent... et je n'avais pas fait attention à eux. Mais ils repassèrent, et c'est alors que je me dis : " Mais c'est Martel... Ah !.. le pauvre bougre !.. Cet homme était devenu énorme ; il ne marchait pas, il se déplaçait : ayant avancé une jambe avec un brusque mouvement en avant de tout son buste, il restait immobile sur l'appui de sa canne, comme pour s'assurer de la vigueur de ce membre, puis pesant sur l'épaule du noir, il avançait de toute la force de sa poitrine l'autre jambe et il attendait sur celle-ci l'énergie de mouvoir l'autre. Son visage — complètement rasé — était gris pâle ; on eût dit qu'il avait été saupoudré de cendre de cigare.

Ce Martel était à Matadi l'agent des " Chargeurs

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