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MARCEL PROUST ET LA TRADITION CLASSIQUE I95

Grande entreprise d'un écrivain sur lui-même ; nom- breuses et précises dispositions pour procéder à une investigation aussi subtile et pénétrante que possible de ses émotions : résultat rigoureusement nul. Il n'y a pas, dans les trois ou quatre volumes du Cuite du Moi^ le plus petit embryon de découverte psychologique ; c'est vraiment le " Dieu inconnu " qui, d'un bout à l'autre, s'y trouve encensé. Malgré toute sa bonne volonté, malgré tout l'appareil dont il s'entoure. Barrés n'arrive pas à vaincre l'hermétique nuit intérieure dont il est affligé.

Partout d'ailleurs autour de lui, à cette époque, l'intel- ligence de soi est en baisse. Jamais on n'a tant parlé d'intuition, et jamais on n'en a été plus incapable ; du moins en ce qui regarde les objets intérieurs. Le Symbo- lisme apprend non pas seulement aux poètes, aux roman- ciers aussi, une certaine manière délicieuse de ne s'aborder soi-même qu'en songe. Il s'agit avant tout d'être aveugle. L'efFort à faire, s'il y en a un, est exactement au rebours de la clairvoyance : pour mieux faire vibrer le lecteur, on ne touchera que du dehors et avec une sorte de circons- pection enivrée aux émotions dont on veut le ravir ; il faut les presser, les étreindre, leur faire donner toute leur liqueur ; mais ne surtout pas les pénétrer, les attaquer, les dissoudre. L'écrivain, quel qu'il soit, s'exerce avant tout à être global ; il n'est content que lorsqu'il réussit à restituer d'ensemble, par la suggestion, par la caresse, un moment de son âme ; il n'a le sentiment d'avoir fait sa tâche que lorsqu'il est parvenu à se subir lui-même, tel quel et en toute ignorance, pendant un instant.

Le roman psychologique s'imprègne de lyrisme ; il n'est plus une branche de l'étude des passions ; il ne sert

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