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SI LE GRAIN NE MEURT l6l

père, avec une barbe carrée, des cheveux noirs, assez longs et bouclés ; sans elle je n'aurais gardé souvenir que de sa grande douceur. Ma mère m'a dit plus tard que ses collègues l'avaient surnommé " Vir probus " ; et j'ai su par l'un d'eux que souvent on recourait à son conseil.

Je ressentais pour mon père une vénération un peu craintive, qu'aggravait la solennité de ce lieu. J'y entrais comme dans un temple ; dans la pénombre se dressait le tabernacle de la bibliothèque ; un épais tapis de ton riche et sombre étouffait le bruit de mes pas. Il y avait un lutrin près d'une des deux fenêtres ; au milieu de la pièce, une énorme table couverte de livres et de papiers. Mon père allait chercher un gros livre, quelque Coutume de Bourgogne ou de Normandie^ pesant in-folio qu'il ouvrait sur le bras d'un fauteuil pour épier avec moi de feuille en feuille jusqu'où persévérait le travail d'un insecte ron- geur. Le jurisconsulte, en consultant un vieux texte, avait admiré ces petites galeries clandestines et s'était dit: " Tiens ! cela amusera mon enfant ". Et cela m'amusait beaucoup, à cause aussi de l'amusement qu'il paraissait lui-même y prendre.

Mais le souvenir du cabinet de travail est resté lié surtout à celui des lectures qu'il m'y faisait. Mon père avait à ce sujet des idées très particulières que n'avait pas épousées ma mère ; et souvent je les entendais discuter sur la nourriture qu'il convient de donner au cerveau d'un petit enfant. De semblables discussions étaient sou- levées parfois au sujet de l'obéissance, ma mère restant d'avis que l'enfant doit se soumettre sans chercher à comprendre, mon père gardant toujours une tendance à tout m'expliquer. Je me souviens fort bien qu'alors ma

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