138 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
le commissaire Henry Bcyle qui a su se débrouiller pour les lui donner. Mais il n'aurait rien valu pour écrire trois pages tendant à relever le moral des troupes, et il eût été aussi mauvais de le réquisitionner pour cette écriture que de ne pas l'utiliser pour l'intendance,
Stendhal eût pris les adjurations de M. Maurras à peu près comme Lord Byron prit celles de Lamartine quand on lui fit lirel'Epitre où celui-ci l'engageait à se convertir. Mais peut- être ce psychologue eût-il saisi facilement ce qu'il y a de curieux et d'original dans l'idée de M. Maurras, ce qu'elle com- porte d'individualisme authentique, ce qui par conséquent peut retenir un Stendhalien. M. Maurras est un patriote qui depuis un quart de siècle s'est assigné une tâche patriotique, qui la remplit par le journal, et qui pendant la guerre a continué, avec l'autorité que lui donnaient tant sa hantise d'un pro- blème unique qu'un sens de la France pareil à celui qu'un Hugo a des mots, un Rodin du corps. Mais comme un baron franc sur l'Acropole, ce patriote s'est étabh sur les ruines ou plutôt sur les vestiges encore imposants d'un grand et libre écrivain, de celui qu'Aîithinea, \ Avenir de V Intelligence et telles de ces pages sur Stendhal nous font toucher du doigt avec un peu de cette pitié qui l'approchait lui-même d'une colonne des Propylées. M. Maurras a fait à un devoir, à une tâche d'ordre politique et pratique le sacrifice d'une grande carrière littéraire et d'une heureuse vie d'intelligence libre. Il a pesé ce sacrifice, il l'a résolu pour de bonnes raisons, et il est pro- bable qu'il le referait si le choix lui était rendu. Mais il ne serait pas un homme si l'image de la vie sacrifiée, cette ïsmène de son Antigone intérieure, ne le hantait souvent, si elle ne lui fournissait ce qu'apportèrent jusqu'à la fin à Sainte- Beuve les retours du poète mort jeune. Qui donc a été chargé d'un cénacle ou d'une académie inactive, d'un bois sacré et d'un lieu d'asile, qui a été arraché à l'autonomie de l'esprit, promu au pentathle des forts, sinon lui, au moment de cette lutte tragique où sa destinée s'est décidée ? Je parlais tout à l'heure d'une attitude religieuse et de la " déesse France". Ce sont là, exactement, chez cet athée, les tra^^édies de la foi, les
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