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128 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

bouleversements politiques, au renversement des empires. Que nous le voulions ou non, les conditions d'existence sociale enserrent trop étroitement la spéculation pour que son déve- loppement puisse acquérir un caractère inactuel. Si l'on restitue à Montaigne, à La Bruyère, à la critique dirigée au xviii® siècle moins contre la religion que contre l'esprit théologique, aux Encyclopédistes pressés d'enregistrer les progrès des sciences, à Vauvenargues, à d'Alembert, à Condorcet, aux économistes et aux idéologues leur place et leur signification positive, l'évolu- tion de la pensée française ne présente plus cette simplicité harmonieuse et cette continuité qui sont chez Delbos le reflet d'une belle égalité d'âme. Elle est au contraire dans les alter- natives de la lutte engagée entre l'esprit de la Renaissance et les survivances de l'esprit médiéval. La théologie et la science naissante ne se concilient sous Louis XIV que pour s'affronter dès que l'Eglise voit diminuer son pouvoir temporel. L'agita- tion et la décomposition sociale ^du xviii^ siècle, la Révolution de 1789, l'épopée napoléonienne et son retentissement, l'évo- lution des sciences modifient profondément la tradition carté- sienne ; et c'est dans le Positivisme, où se concilient les exigences de la science, de l'ordre social, et de la vie intérieure, que nous irions peut-être chercher nos traditions intellectuelles, si la philosophie, rendue moins généreuse, moins confiante, moins hardie par la proscription du second Empire, n'avait demandé aux pensées étrangères contemporaines la parole de vie que son passé pouvait lui donner.

Il semble donc bien que l'originalité de la pensée française soit là où la place Delbos, dans son humanisme. Mais l'humanisme n'est pas une doctrine ; il est une attitude et une attitude trop subtile et trop souple pour demeurer à jamais fixée dans des cadres définitifs. Sans doute la forme catholique qu'il revêtait au xvii^ siècle est infiniment plus proche de nous que la forme protestante introduite avec la pensée anglo-saxonne dans le cours du xix^ Siècle. Et il était bon de le rappeler. Mais

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