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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 99

quelqu'un ou quelque chose sur qui les déverser. " Il est heureux pour Spencer que Carlyle n'ait pas vécu assez long- temps pour assister à la naissance de sa philosophie : nulle philosophie n'était mieux faite pour exciter la bile du vieux dyspeptique et lui enlever l'embarras de chercher un destina- taire à ses imprécations quotidiennes.

En matière de critique d'art, Spencer devient tout à fait réjouissant. Le goût que j'avoue pour son Autobiographie provient en grande partie de la magnifique sincérité qui lui permet d'étaler le pur et parfait philistinisme avec autant d'ardeur qu'en met un snob à cacher le sien. C'est aussi beau que Bouvard et Pécuchet. Il ignore complètement la littérature des classiques. C'est pour- quoi il est monstrueux d'abrutir la jeunesse sur la langue et l'histoire de deux peuples aussi peu intéressants que les Grecs et les Romains. " Dans l'avenir cet état de l'opinion sera consi- déré comme une des aberrations les plus étranges par lesquel- les l'humanité ait passé. " Quand Carlyle publie son Cromzvelly Spencer écrit : Il y a tant de choses dans ce monde actuel qui retiennent notre attention, que je ne vais pas passer une semaine à me faire une opinion sur le caractère d'un homme qui a vécu il y a deux siècles. " Et M. Homais ne pourrait rien penser de plus monumental que les pages de r Introduction à la Science Sociale sur Frédéric II et Napoléon. Il n'a jamais pu aller au delà du sixième livre de VIliade et dit : " J'eusse mieux aimé donner une forte somme d'argent que de continuer jusqu'à la fin. " Il nous dit d'ailleurs quels sont ses goûts : il lui faut en art une secousse intense qui l'émeuve fortement. Comme M. Jourdain il aime la trompette marine. Il a voyagé en Italie et en Egypte, et ses impressions esthétiques ressem- blent fort à celles qu'Alphonse Allais prêtait autrefois à Sarcey. Elles consistent surtout à maugréer contre les faux chefs-d'œuvre, à se demander ce que les gens peuvent voir de beau dans la Sixtine, dans la Leçon d'Jnatomie ou dans la musique de Wagner.

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