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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 97

était encore tout petit, comme il était assis près du feu, je Tentendis rire soudain. Je lui demandai ce qui le faisait rire, et il me répondit : Je me demandais comment cela serait s'il n'y avait que moi au monde. " A ses yeux de petit enfant c'était bien toute sa destinée qui apparaissait, et qu'il acceptait en riant. Peut-être quelqu'un en lui faisait-il ce choix mystique des conditions que dit le mythe du X^ livre de la République. Il fut toujours seul, il se voulut seul, le grand problème pratique fut pour lui l'existence et la défense de l'individu. Ses premiers écrits furent des lettres au Non-Conformist où il traitait la question de l'individu et de la société, et tous ses derniers écrits s'occupent du même problème. Il est à ce point de vue comme à bien d'autres l'antipode exact d'Auguste Comte. Son non-confor- misme sans dogme s'oppose très précisément au catholicisme sans dogme du philosophe français. Il finit dans un état d'isolement moral qui rappelle vivement par le contraste ces dernières années de Comte toutes déprises de l'individu et comme perméables déjà à la lumière du Grand-Être.

Il n'y a d'ailleurs sous cet individualisme à peu près aucune épaisseur de vie intérieure intense. La vie intérieure de Spencer ce sont ses idées. Il vit pour penser ces idées, pour faire connaître la théorie de l'évolution, et pour rien autre chose, semble-t-il. Un amateur d'hommes comme Montaigne ou Sainte-Beuve ne trouverait en lui rien qui pût retenir la curiosité psychologique ni attirer l'analyse dans un vrai paysage moral. De là la sécheresse et la puérilité apparentes de son Autobiographie. Le respect de l'individu, en lui-même comme en les autres, mais de l'individu sain et fort et non du faible que la société doit laisser éliminer par la nature, le sacrifice de toutes les idées morales à la notion froide de justice, la perfec- tion morale conçue comme l'adaptation mécanique de l'homme aux fins sociales, tout cela est bien conforme à cette tendance, tourne exactement le dos à l'homme intérieur. Il n'est donc pas étonnant que cette philosophie nous apparaisse comme le type

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