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958 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'esprit est faillible quand il ne manie pas des quantités abs- traites, des chiffres, des signes ou des plans ! Mon expérience à moi, dans le cas présent, dément complètement la sienne. Où il voit le duel entre l'autocratie et la démocratie, la lutte contre les tyrans pour le Droit et la Liberté, je vois des peuples qui veulent vivre et qui défendent leur bien et leur vie contre la cupidité d'un voisin. J'ai fréquenté bien des soldats et de tout près en quatre ans de campagne et j'ai été frappé par leur indifiérence à l'égard des buts idéaux. Jamais (ou une fois sur mille) ils ne prononçaient le mot République, le mot Droit, le mot Liberté. Ils détestaient Guillaume, non pas comme un tyran, mais comme symbole de toute l'Alle- magne, en tant qu'étranger, en tant qu'ennemi et on les aurait bien fait rire en s'avisant de leur conter qu'ils se battaient pour libérer leurs frères boches. Lorsque les Russes nous lâchèrent, ils devinrent tout de suite peureux « cesc... de Russes qui prolongeaient la guerre sous prétexte de « vider » le tzar ». Ils se battaient pour en finir, pour n'avoir plus l'Allemagne à leur porte avec son grand sabre et sa grosse voix. Quant à cet idéal qui gonflait leur courage, il n'avait pas de nom, pas même celui de France ; il était dans leur sang, dans leur cœur, dans leurs muscles, dans l'héritage corporel de tous leurs ancêtres français, une sorte de bravoure et d'endurance toutes physiques. Tel était le cas de la masse. Ceux qui a savaient pourquoi», une infime minorité, n'étaient jamais du même avis, sauf dans la haine ; chacun récitait son journal. Je ne parle pas de l'éUte, intellectuels, petits commerçants et petits bourgeois : le plus grand nombre ne tarissait pas d'ironie sur les discours du président Wilson. Rivière nous dit le contraire. Qui croire ? Ce débat accessoire n'est pas inutile... mais poursuivons.

Nous avons donc cru, selon Rivière, combattre pour la liberté du Monde, lequel était souvent autant et plus libre que nous — et voici soudain que le Monde ne veut plus de la

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