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950 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

s'étalent platement en incorrections. Il faudrait un singulier parti pris pour donner comme anacoluthe la phrase de Flaubert : « Grâce à cette bonne volonté »... que j'ai citée tout à l'heure. Entre les grands écrivains incorrects dont parle Flaubert, distinguons ceux qui n'étaient pas incorrects, parce qu'ils vivaient en un temps où ils faisaient la loi, et ceux qui le deviennent parce qu'ils vivent en un temps où ils la subissent. On appelle d'ailleurs point de maturité de la langue un moment d'équilibre entre la création spon- tanée et la règle commerçante, qui dure juste le temps d'une génération.

Presque toutes les fois que Flaubert choit en une irrégu- larité, c'est sans le vouloir et en commettant une faute. Comme le remarquent fort bien les Concourt sa langue ni surtout sa syntaxe n'ont rien de prime-sautier, de verveux, de hardi. Elles sont courtes et timides, avec des qualités scolaires, et à la moindre tentative de haute école elles tomberaient par terre. Quand il s'écrie :« De l'air ! de l'air ! les grandes tournures, les larges et pleines périodes, se dé- roulant comme des fleuves, la multiphcité des métaphores, les grands éclats du style, tout ce que j'aime enfin ! » songez à Emma Bovary s'exaltant lyriquement sur le voyage d'Italie qu'elle ne fera jamais. Ce n'est point par un sens puissant de la langue que Flaubert en est devenu un maître, c'est par la longue patience qui fait la moitié de son génie verbal et aussi et surtout par son gueuloir.

On s'est moqué du gueuloir. C'est de lui pourtant que Flaubert a tiré toute la finesse de son métier. « Les phrases mal écrites, dit-il, ne résistent pas à cette épreuve ; elles oppressent la poitrine, gênent les battements du cœur, et se trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie. » Par là, Flaubert a retrouvé le grand courant du style classique qui, ainsi que Brunetière l'a souvent et fortement montré, est un style parlé, associé aux rythmes et à l'espace de la

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