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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 949

se formulent, ue sa jurisprudence se fixe. Au temps de Montaigne, le poids de la souveraineté ne touchait pas un gentilhomme deux fois dans sa /ie, et le poids delà grammaire ne touchait pas beaucoup un écrivain. Aussi la France produisait-elle des Bussy d'Amboise et des d'Aubigné du même fonds dont elle engendrait des Rabelais et des Mon- taigne. Mais les grammairiens sont venus comme les inten- dants. Richelieu a fondé l'Académie comme il a fait couper la tête de Montmorency, e style et la grammaire se sont joints davantage, et leur adhérence croissante est un fait inévitable, donné avec le mouvement de la langue elle- même, et sur lequel il n'/ a pas à revenir. Redites-vous la phrase célèbre de Chateaubriand que Guizot récitait avec des inflexions qui enthousiasmaient Mme de Staël : « Lorsque, dans le silence de l'abjection, l'on n'entend plus que la chaîne de l'esclave et la voix du délateur ; lorsque tout tremble devant le tyran, et qu'il est aussi dangereux d'encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l'historien paraît, chargé de la vengeance des peuples. » Chateaubriand y fait une musique oratoire presque parfaite ; mais si vous la lisez à voix haute peut-être vous apercevrez-vous que les deux lorsque, avec leurs trois consonnes, arrêtent et nouent un peu désagréablement le débit. Je suis persuadé qu'au XYii® siècle on les eût remplacés par quand... que, avec un effet certain d'allégement et d'aisance. Seulement cette anacoluthe, dont Bossuet use sans remords, est au temps de Chateaubriand considérée comme une hardiesse inadmissible, et il s'en abstient, sacrifiant l'harmonie à la grammaire Evidemment aucun grammairien ne manquera de limite exacte entre l'anacoluthe et l'incorrection. Mais il y a des époques de la langue où, comme au temps de Platon, de Tacite et de Bossuet, les ruptures de rapports logiques et les dissonances grammaticales retombent verveusement en anacoluthes, et d'autres époques, comme la nôtre, où elles

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