Page:NRF 13.djvu/944

Cette page n’a pas encore été corrigée

936 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

terre ferme le flottant tapis de fleurs, elle a perdu pied brusquement... Si je pouvais le croire ! me convaincre qu'il n'y eut là qu'un accident, quel poids affreux serait levé de sur mon âme ! Ehirant tout le repas, si gai pour- tant, l'étrange sourire, qui ne la quittait pas, m'inquiétait ; un sourire contraint que je ne lui connaissais point mais que je m'efforçais de croire celui même de son nouveau regard ; un sourire qui semblait ruisseler de ses yeux sur son visage comme des larmes, et près de quoi la vulgaire joie des autres m'offensait. Elle ne se mêlait pas à la joie ; on eût dit qu'elle avait découvert un secret, que sans doute elle m'eût confié si j'eusse été seul avec elle. Elle ne disait presque rien ; mais on ne s'en étonnait pas, car près des autres, et plus ils sont exubérants, elle est souvent silencieuse.

Seigneur, je vous implore : permettez-lui de me parler. J'ai besoin de savoir, ou sinon comment continuerais-je à vivre ?... Et pourtant, si tant est qu'elle ait voulu cesser de vivre, est-ce précisément pour avoir su ? Su quoi ? Mon amie, qu'avez- vous donc appris d'horrible ? Que vous avais-je donc caché de mortel, que soudain vous aurez pu voir ?

J'ai passé plus de deux heures à son chevet, ne quittant pas des yeux son front, ses joues pâles, ses paupières déli- cates recloses sur un indicible chagrin, ses cheveux encore mouillés et pareils à des algues, étalés autour d'elle sur l'oreiller — écoutant son souffle inégal et gêné.

29 Mai

Mademoiselle Louise m'a fait appeler ce matin, au moment où j'allais me rendre à la Grange. Après une nuit

�� �