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786 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

un Anglais de se faire la mentalité d'un Londonien d'Eli- sabeth. Une pièce de Shakespeare, pleine à craquer des éléments les plus divers, devait satisfaire à elle seule à des besoins différents de l'esprit qu'une division du travail dra- matique a contentés depuis par des spectacles différents. Elle tenait lieu d'opéra-comique, de tragédie, de comédie, de cirque. Elle tenait aussi lieu de romans. Beaucoup ne savaient pas lire et l'imprimerie ne suffisait pas à toutes les curiosités. Les pièces de Shakespeare, qui découpent généralement en scènes des chroniques, des histoires, des nouvelles dont elles suivent assez fidèlement les lignes, « montraient » ces livres au public, comme la peinture, la sculpture et surtout les mystères du moyen-âge lui montraient les écritures. Le drame anglais, c'est le mystère transplanté dans l'histoire profane. Quand certains courants ont reporté le goût du public sur cet art de thèmes et de totalité indivisée, il trouve là une clef qui lui permet de rouvrir Shakespeare et de le mieux goûter : le succès de la Nuit des Rois au Vieux-Colom- bier a été fait un peu, malgré le contraste de la mise en scène, par le public des ballets russes.

Cela n'empêche pas que le théâtre de Shakespeare, né du livre, retourne volontiers au livre. Au théâtre même, l'influence de Shakespeare n'a pas été très heureuse : ce que lui doivent Ibsen et M. Maeterlinck n'est pas ce qu'ils ont de meilleur. En revanche c'est de lui, authentiquement, que descend ce spectacle dans un fauteuil qui est peut-être le vrai chef-d'œuvre dramatique français du xix^ siècle : le théâtre d'Alfred de Musset, qui de Lorenzaccio à Barberïne suit tant de sentiers shakespeariens; — le théâtre non joué de Victor Hugo, qui ne contient pas seulement Mangeront- ils ? et les pièces inégales du Théâtre en Liberté, mais ce joyau des Deux trouvailles de Gallus, que notre scène aurait dû depuis longtemps recueillir comme une merveille par- faitement jouable, hautement dramatique, et que presque

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