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754 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

— Tu es fâchée de ce que j'aie mené Gertrude au concert ? j'obtins cette réponse :

— Tu fais pour elle ce que tu n'aurais fait pour aucun des tiens.

C'était donc toujours le même grief, et le même refus de comprendre que l'on fête l'enfant qui revient, mais non point ceux qui sont demeurés, comme le montre la parabole ; il me peinait aussi de ne la voir tenir aucun compte de l'infirmité de Gertrude, qui ne pouvait espérer d'autre fête que celle-là. Et si, providentiellement, je m'étais trouvé libre de mon temps ce jour-là, moi qui suis si requis d'ordinaire, le reproche d'Améhe était d'autant plus injuste qu'elle savait bien que chacun de mes en- fants avait soit un travail à faire, soit quelque occupa- tion qui le retenait, et qu'elle-même, Amélie, n'a point de goût pour la musique, de sorte que, lorsqu'elle dispo- serait de tout son temps, jamais il ne lui viendrait à l'idée d'aller au concert, lors même que celui-ci se donnerait à notre porte.

Ce qui me chagrinait davantage, c'est qu'Amélie eût osé dire cela devant Gertrude : car bien que j'eusse pris ma femme à l'écart, elle avait élevé la voix assez pour que Gertrude l'entendît. Je me sentais moins triste qu'in digne, et quelques instants plus tard, comme AméUe nous avait laissés, m'étant approché de Gertrude, je pris sa petite main frêle et la portant à mon visage :

— Tu vois ! cette fois je n'ai pas pleuré.

— Non ; cette fois, c'est mon tour, dit-elle, en s'effor- çant de sourire ; et son beau visage qu'elle levait vers moi, je vis soudain qu'il était inondé de larmes.

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