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LA SYMPHONIE PASTORALE 745

le même. A chaque hiver Amélie y est prise et me déclare : la neige n'a toujours pas changé ; on la croit épaisse encore quand déjà la voici qui cède et tout à coup, de place en place, laisse reparaître la vie.

Craignant que Gertrude ne s'étiolât à demeurer auprès du feu sans cesse, comme une vieille, j'avais comjnencé de la faire sortir. Mais elle ne consentait à se promener qu'à mon bras. Sa surprise et sa crainte d'abord, dès qu'elle avait quitté la maison, me laissèrent comprendre, avant qu'elle n'eût su me le dire, qu'elle ne s'était encore jamais hasardée au dehors. Dans la chaumière où je l'avais trouvée, personne ne s'était occupé d'elle autre- ment que pour lui donner à manger et l'aider à ne point mourir, car je n'ose point dire : à vivre. Son univers obscur était borné par les murs mêmes de cette unique pièce qu'elle n'avait jamais quittée ; à peine se hasardait-elle, les jours d'été, au bord du seuil, quand la porte restait ouverte sur le grand univers lumineux. Elle me raconta plus tard, qu'entendant le chant des oiseaux elle l'ima- ginait alors un pur effet de la lumière, ainsi que cette chaleur même qu'elle sentait caresser ses joues et ses mains, et que, sans du reste y réfléchir précisément, il lui paraissait tout naturel que l'air chaud se mît à chanter, de même que l'eau se met à bouillir près du feu. Le vrai c'est qu'elle ne s'en était point inquiétée, qu'elle ne fai- sait attention à rien et vivait dans un engourdissement profond, jusqu'au jour où je commençai de m'occuper d'elle. Je me souviens de son inépuisable ravissement lorsque je lui appris que ces petites voix émanaient de créatures vivantes, dont il semble que l'unique fonction soit de sentir et d'exprimer l'éparse joie de la nature.

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