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740 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

objets, une épingle, puis une plume, puis toucher sur une feuille imprimée à l'usage des aveugles le relief des deux mots anglais : pin et peu. Et durant des semaines il n'obtint aucun résultat. Le corps semblait inhabité. Pourtant il ne perdait pas confiance. « Je me faisais l'effet de quelqu'un, racontait-il, qui, penché sur la margelle d'un puits profond et noir, agiterait désespérément une corde dans l'espoir qu'enfin une main la saisisse. » Car il ne douta pas un instant que quelqu'un ne fût là, au fond du gouffre, et que cette corde à la fin ne fût saisie. Et un jour enfin, il vit cet impassible visage de Laura s'éclai- rer d'une sorte de sourire ; je crois bien qu'à ce moment des larmes de reconnaissance et d'amour jaillirent de ses yeux et qu'il tomba à genoux pour remercier le Sei- gneur. Laura venait tout à coup de comprendre ce que le docteur voulait d'elle ; sauvée ! A partir de ce jour elle fit attention ; ses progrès furent rapides ; elle s'ins- truisit bientôt elle-même, et par la suite devint direc- trice d'un institut d'aveugles — à moins que ce ne fut une autre... car d'autres cas se présentèrent récemment, dont les revues et les journaux ont longuement parlé, s'étonnant à qui mieux mieux, un peu sottement à mon avis, que de telles créatures pussent être heureuses. Car c'est un fait : chacune de ces emmurées était heureuse, et sitôt qu'il leur fut donné de s'exprimer, ce fut pour raconter leur bonheur. Naturellement les journalistes s'extasiaient, en tiraient un enseignement pour ceux qui, «jouissant » de leurs cinq sens, ont pourtant le front de se plaindre...

Ici s'engagea une discussion entre Martins et moi, qui regimbais contre son pessimisme, et n'admettais

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