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LA PENSÉE FRANÇAISE DEVANT LA GUERRE 651

du siècle précédent, facilite sa besogne. L'éducation scien- tifique dispardt presque complètement et fait place à l'à-peu-près facile et brillant de l'éducation littéraire. Devant les choses, les idées, la pensée n'analyse ni ne regarde ; elle se laisse envahir par l'émotion immédiate. L'atmosphère qui se dégage, une impression fugitive, un mouvement instinctif la contentent. L'émotion confuse et amorphe est une possibiUté indéfinie de sensations; au gré des suggestions, elle se prête à toutes les métamor- phoses. Le jeu des af&nités se substitue à la logique. Les idées cessent d'avoir ime valeur en elles-mêmes, toute certitude étant sentimentale. La recherche des causes à la manière du savant est abandonnée pour la poursuite d'analogies mystérieuses. Car le monde entier, vaste poème, se modèle sur les données intimes. La sym- pathie, l'intuition sont élevées au rang de méthode. Philosophie et poésie se confondent. Et le sentiment, dans les hmites de l'expérience individuelle, devient source de vérité.

Ainsi la prépondérance d'une sensibilité trouble cor- rode la pensée et entraîne une modification profonde dans l'attitude spéculative traditionnelle. Il naît, dans l'école de Cousin, un mouvement ambigu et opportimiste, le spirituahsme. Celui-ci se colore diversement, suivant les tempéraments, les modes et le jeu des influences. Il revêt successivement toutes les formes. Parfois même, telle de ses manifestations paraît assez orginale pour laisser croire à un renouvellement et à un travail véritable de la pensée. Et pourtant, lorsque tombe le vêtement un peu flottant dans lequel il s'enrobe, il ne demeure de lui que quelques croyances traditionnelles et quelques dogmes.

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