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6o8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la lignée des contes philosophiques du xyiii^ siècle. Ce n'est pas traité dans la manière sobre de Candide et de Zadig, mais c'est traité dans leur esprit.

Le roman ou plutôt le conte de M. Chadourne développe un thème qu'un poète très minime du nom d'Eugène Manuel iTiit à la portée des enfants en des vers sans artifice. Des enfants se disputent un tas de noix et demandent à un véné- rable derviche qui passe là de le partager entre eux, lui disant que son partage sera pour eux aussi juste que s'il était fait par Dieu lui-même. — Vous voulez donc, mes enfants, que je partage comme Dieu. — Oh ! oui ! Ainsi fait le derviche, donnant tout aux uns et rien aux autres. M. Cha- dourne a imaginé un Hollandais qui, dans une île inconnue où il est le seul maître et où les indigènes vivaient dans l'état d'innocence heureuse du Supplément au Voyage de Bou- gainville, établit le règne de Dieu ainsi entendu, à son gré donnant les plaisirs ou infligeant maladies et tortures, — de sorte que l'île expérimentale de Van den Brooks, où Van den Brooks s'est proclamé Dieu (un pauvre bonhomme de Dieu qui, découragé par sa soUtude, finit par abdiquer), est à peu près dans l'ordre moral et religieux ce qu'est dans l'ordre de la vie physique l'île du docteur Moreau. Le ton ironique et agréable du récit contraste de façon curieuse avec l'acre philosophie de M. Chadourne et avec son idée sensuelle et sombre de la souffrance. Je laisse cela de côté et ne veux m'intéresser aujourd'hui qu'à une certaine technique et une certaine orientation nécessaire du roman d'aventures.

A côté des deux sortes, anglaise et française, active et romanesque, du roman d'aventures que l'on discernait tout à l'heure, le Maître du Navire nous donne l'occasion d'en spécifier une troisième. Je l'appellerais le roman de l'aven- ture intellectuelle, le motif de l'aventure lié de façon iro- nique et symbolique à un certain romanesque de l'intelli-

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