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566 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Une âme comme la mienne, ce n'est pas avec l'eau qu'on la baptise, c'est avec le sang ! ORIAN. — A cette eau le sang d'un dieu était joint. PENSEE. — Cette eau, est-ce moi qui l'ai appelée ? ORIAN. — Mais ce sang, c'est vous qui l'avez répandu. PENSÉE. — Ce dieu, c'est nous qui vous l'avons donné !

Ah, je le sais, s'il y a un I>ieu pour l'humanité, c'est de notre cœur seul qu'il était capable un jour de sortir !

ORIAN. — N'en est-il point sorti ?

PENSÉE. — Qu'en avez-vous fait ? Est-ce pour cela que nous vous l'avons donné.

Pour que les pauvres soient plus pauvres, pour que les riches soient plus riches ?

Pour que les propriétaires touchent leurs loyers ? Pour que les rentiers mangent et boivent ? Pour que des rois à demi fous régnent sur des peuples abrutis ?

Et que là où les vieux rois tombent, surgissent pour les remplacer d'affreux avocats à pantalon noir.

Des fripons, des convulsionnaires, des professeurs, des hypocrites à mâchoires de loups, mêlés à de vieilles femmes,

Des hommes comme mon père ?

Et qu'il soit défendu de rien changer à tout cela ? Parce que tout pouvoir vient de Dieu.

ORIAN. — Par quoi les remplaceriez- vous ?

PENSÉE. — Grand Dieu ! ce sera beaucoup déjà d'être défait de ceux-ci et de ce voile dégoûtant tout de suite qui nous aveugle et nous asphyxie !

Et qui sait si la lumière n'existe pas, et si pour la voir il ne suffirait pas de rompre tous ces corps morts autour de nous comme une affreuse forêt ?

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