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PREMIÈRE VISITE AU LOUVRE 529

dans un langage moins direct, plus métaphorique. Ils s'expriment par signes. Leur expression profonde ne gît pas cachée au creux des replis de leur visage. Celui-ci, au lieu d'absorber toute l'émotion se simplifie pour n'être qu'un détail de la figure générale. Et cette figure elle- même se dédouble en gestes, elle devient hiéroglyphe et prolonge sa géométrie par celle des casques, des lances et des boucliers traçant sur le fond amorphe la trame de leurs af&rmations éloquentes. Le public inculte et pares- seux, uniquement sensible à l'anecdote, ne voit là que l'étalage un peu naïf d'une quincaillerie pompeuse. Mais qui sait voir au delà de la signification étroite des formes et s'évader des racines pour contempler le faîte de l'arbre, goûtera de pures émotions plastiques.

Au sein des plus dangereuses frivolités picturales du xviiie siècle, David, plein d'un juste courroux, s'élève au-dessus du chaos. Dieu des peintres lucides, il épure, sépare et déHmite les éléments confondus par la trop aimable négligence des Boucher et des Fragonard, premiers impressionnistes. Il maîtrise le désordre ; dès que le mouvement devient trop sentimental ou trop tragique, il y renonce. Il n'est pas de mêlée si compacte ou si confuse qu'il ne sache l'arrêter en une minute solennelle. Ses guerriers et ses femmes, dans le tableau des Sabines, ne consoroment pas l'action qu'ils ébauchent. Suspendus au bord de l'abîme du ridicule — comme tous les héros — ils arrêtent leur geste au sommet de sa trajectoire, et s'immobilisent pour l'éternité.

Les Paysans et les Sabines s'opposent et se complè- tent merveilleusement, pour notre éducation. Ils sem- blent situés aux deux pôles de l'activité artistique.

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