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venue tout naturellement cette phrase : « Il faut espérer que cette guerre nous permettra d’en finir une bonne fois avec les vieilles idoles rationnelles de Liberté et d’Égalité. » Il ne voulait pas dire du tout : par l’établissement d’un impérialisme universel. Non, c’était autre chose qu’il caressait dans son imagination et souhaitait de pouvoir mettre enfin à la place de l’idéal français. La liberté ici pour lui n’avait pas pour inconvénient de s’opposer à l’hégémonie de l’Allemagne sur le monde. C’est d’un tout autre crime qu’il l’accusait, et non pas peut-être tout à fait injustement.

Qu’on se place mentalement dans la situation des opprimés d’aujourd’hui. Que peuvent-ils désirer d’abord ? Est-ce le droit de faire tout ce qu’ils voudront ? Est-ce le droit d’être libres ? De quoi leur servirait-il ? Où iraient-ils avec leur liberté ? Qui voudrait la recevoir comme monnaie ? Leur donnerait-elle du pain ? Non, mais ils désirent d’abord, ils veulent, ils exigent avant tout d’être protégés contre la liberté des autres. La cause permanente, inflexible, inexorable de leurs souffrances, ils le savent bien maintenant, c’est la liberté des autres. Et, en effet, si, par un décret de la raison on suppose tous les individus égaux et si on confère à chacun le droit de tout faire, excepté de tuer, de voler et de se parjurer, c’est exactement comme si on remettait les plus faibles aux plus forts pour qu’ils les mangent. Si l’on se contente d’interdire à chacun tout ce qui nuit directement au prochain et si pour tout le reste on lui met la bride sur le cou, c’est absolument comme si on lançait les plus avides, les plus dégagés aux trousses des timides et des indigents.