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C’est lui qui a fait le cran de nos hommes à l’assaut, leur patience au fond des tranchées. C’est lui peut-être qui s’est glissé comme un peu de lumière encore entre les paupières de nos mourants.

Et je prétends que c’est lui qu’ont suivi en fait tous nos intellectuels, à quelque doctrine qu’ils fussent officiellement inféodés. « Nous sommes, de race, des hommes de liberté », écrivait Péguy, justement dans cette Note sur M. Descartes qui a paru ici même et qui est comme son testament. Et encore : « C’est pour cela que nous ne nous abusons pas quand nous croyons que tout un monde est intéressé dans la résistance de la France aux empiétements allemands. Et que tout un monde périrait avec nous. Et que ce serait le monde même de la liberté. »

Non pas seulement les petits lieutenants de Normale, non pas seulement les instituteurs, déjà tout caparaçonnés d’orthodoxie républicaine, mais les plus exaltés des nationalistes, si l’on eût pu soulever le couvercle de leur cerveau et y regarder directement, c’est cette croyance, si bien exprimée par Péguy, c’est cette image de la France rempart de la Liberté, qu’on y eût avant tout découvert. Et c’est aussi, chez la plupart, un véritable fanatisme libéral, un besoin féroce de délivrer tout ce qu’il pouvait y avoir dans l’univers d’enchaîné, de replié, de contraint. Les quinze cents mètres à la baïonnette sous les mitrailleuses, et plus tard le bond par-dessus le parapet, le dur carnage dans la tranchée ennemie, l’impitoyable besogne du nettoyage (si l’on fait abstraction d’un certain goût natif pour l’œuvre guerrière), c’est pour défendre « le monde de la liberté », mieux encore, c’est pour donner la liberté au