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466 La nouvelle revue française

paj- des lois immuables (qu'il nous faudra bien énumérer un jour) et que l'on apprend, sans révolte. Celle-là est essentiel- lement variable : elle est conditionnée par des buts spirituels qui changent selon les époques. Il est évident qu'il y a influence de l'esthétique, que l'on élabore en commun, sur la technique dont chacun hérita, et que cette transformation des moyens s'opère fatalement, sans efforts ni recherche maladive d'originalité. Elle provient d'une mystérieuse répercussion de l'esprit sur la main. Le peintre classique s'applique seulement à découvrir la direction de son époque et cherche à réaliser l'accord de son âme avec l'âme univer- selle. Il renonce donc autant à la poursuite des sujets nou- veaux qu'à la culture pour elles-mêmes des petites origina- lités techniques. Il cherche surtout les aspects nouveaux de sujets éternels, pris dans la réalité immédiate.

Mais le plus grand péché contre la tradition dont Gauguin est fautif est ce goût des voyages, dont surent si bien se garder nos grands classiques français. Notre haine des voyages est proverbiale. Cela tient au génie même de notre race et a la richesse de notre sol. Notre imagination, vite échauffée, glisse sur la pente la plus modeste et, s'emparant du moindre phénomène, sans peine rejoint l'Universel. Nous n'avons pas besoin de longs déplacements : un simple récit nous suffit pour reconstruire le monde — ou bien un détail du paysage français, pourvu qu'il offre la moindre ressemblance avec une vignette du Journal des Voyages ! Pour qui possède la richesse intérieure, une branche chargée de fruits évoque le Paradis, n'importe quelle île est Pathmos, et tout voile soulevé découvre Isis.

Un exemple typique de cette faculté prodigieuse de recons- truire le monde d'après le plus petit détail, nous est offert par ce douanier Rousseau, le plus rustre des peintres modernes, à qui le Dictionnaire Larousse offrait par ses piètres images un tremplin suffisant pour bondir au sein des plus merveilleux

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