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4^)2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

moindre coup de langue maternel. Sans doute y avait-il en puissance un Jean-Christophe aussi informe en trente volumes sur lequel M. Rolland a su conquérir le sien...

Et enfin et surtout il est une troisième raison, en laquelle, si je m'examine, je vois bien la principale cause de ma mauvaise humeur. A la dernière page M. Rolland recopie ces lignes de Pantagruel : « Comment, dist frère Jean, vous rhythmez aussy ? Par la vertu de Dieu, je rhythmeray comme les aultres, je le sens bien; attendez, et m'ayez pour excuse, si j e ne rhy thme en cramoisi. » Voilà le terrible du livre : le bavar- dage de Colas est un bavardage rythmé, entendez que ces trois cent vingt pages sont pour les trois quarts à peu près écrites en alexandrins blancs. M. Rolland abusait bien un peu de cette forme dans les passages lyriques de Jean-Christophe, mais cela venait tout seul, passait avec le reste, portait souvent d'admirables images. Ici l'oreille endure le plus affreux supplice. Dans ce genre de langage, en horreur légi- time depuis cinq siècles à tout bon Çrançais, on ne sait si c'est la prose ou si c'est le vers qu'on assassine, c'est probable- ment tous les deux, mais enfin on est sûr qu'il y a meurtre. Que M. Rolland y prenne garde : la décadence de M. Maeter- linck, autre grand écrivain européen, a commencé du jour où il s'est mis à écrire des Joyzelle et des Monna Vanna en vers blancs. Le vers n'est d'ailleurs pas toujours blanc, il porte des asso- nances, mais n'en vaut pas mieux : « Par moments, je me dis : Mais Brugnon, mon ami, en quoi diable peut bien t'intéresser ceci ? Qu'as-tu à faire dis-moi, de la gloire romaine ? Encor * moins des folies de ces grands sacripants ? Tu as assez des tiennes, elles sont à ta mesure. Que tu es désœuvré pour aller te charger des vices, des misères, des gens qui sont défunts depuis mil huit cents ans ? » On dirait que M. Rolland a écrit son livre au sortir d'une lecture de Paul Fort, et fait parler en Colas Breugnon un Paul Fort nivernais. La marche générale de ce quasi-poème rappelle assez le Roman de

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