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44'2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

garder en face et fixement; mais elle ne se laisse pas oublier. Si le livre est pathétique et d'un art sensible au cœur, c'est qu'il garde à l'idée ce caractère d'inéluctable obsession : nous tâchions de la fuir ; nous croyions échapper, en parlant d'autre chose ; mais toutes les issues sont coupées, le même fantôme se dresse en travers de tous nos chemins.

C'est, d'abord, Clio même qui se plaint : « Je suis une pauvre vieille femme sans éternité... C'est moi qui fus la belle Clio, si adulée. Comme je triomphais au temps de mes jeunes réussites ! Puis l'âge vint. Moi aussi, j'ai connu les victoires de la maturité, les victoires aux hanches lourdes. J'ai mis tout mon bien en viager. Combien d'autres, qui ont moins triomphé, touchent à l'âge où elles auront tout, où elles toucheront tout. Et moi je touche à ce même âge où ]e n'aurai plus rien. » Elle pleure son passé de petite Muse apollinienne, l'âge où l'illusion lui restait per- mise, l'âge où l'ambition d'épuiser la vérité ne lui imposait pas une tâche de flétrissure et de mort...

Mais l'art aussi, que penser de son éternelle jeunesse ? Voici l'œuvre faite et parfaite ; et l'auteur voudrait bien qu'on lui laisse la paix. Il voudrait bien être maître chez lui, « comme si l'homme jamais pouvait être maître chez lui, et même être chez lui dans aucune maison ». Mais l'œuvre ne vit pas par elle-même ; pour couronnement nécessaire, elle attend la contemplation, la lecture, l'acte commun de Vœuvre et du spectateur. Elle tombe sous la commune infortune historique : « Courir ce risque, être en toutes les mains les plus grossières... ou courir ce risque pire, le risque suprême, n'être plus en aucunes mains — c'est-à-dire la maladie, la mort. » « Si dur que soit ce marbre du Pentélique, non seulement il a reçu et, perpétuellement, il recevra les atteintes physiques du temps... mais il a reçu et perpétuelle- ment il recevra les atteintes non moins graves, les couronne-

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