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LE DIALOGUE AVEC GÉRARD 353

pensée, et j'ai crié avec blasphème : « Je ferai plus qu'eux ! »

GÉRARD. — Remarque que je t'approuve, seu- lement...

ANTONIN. — J'ai refusé de me mettre jamais en avant, j'ai refusé de rien faire qui attire vers moi l'attention, en la détournant une minute de ceux qui étaient au feu à ma place, et pourtant tu sais que j'ai quelque ambition...

GÉRARD. — Tu es ambitieux pour tes idées.

ANTONIN. — Oh ! pour moi aussi.

GÉRARD. — Moi aussi, comme toi, je suis ambitieux.

ANTONIN. — ... et que j'aspire très haut...

GÉRARD. — Je suis sûr que tu y arriveras si tu tra- vailles.

ANTONIN. — Travailler ! Le beau mot ! Comme tu le dis bien ! Eh bien ! sais-tu ce qu'il a été, mon travail ? Dans ce corps qui n'avait pas souffert, c'est une expiation dans ce corps même qu'il fallait. A chaque héroïsme nou- veau, à chaque mort nouvelle autour de moi, répondaient un nouvel effort, une nouvelle victoire sur la fatigue ou le plaisir, afin de rétablir l'équihbre. Se dépasser ! Se dépasser! La libre fièvre du jeu! Se sentir augmenter comme un ballon qu'on gonfle. Battre son record ; pousser de dix centimètres le jalon vers la totale perfection humaine... Ah ! comprends cela ! comprends cela ! Avoir voulu que plus rien ne me tienne de toutes les faibles choses d'art et d'âme qui faisaient ma valeur et ma joie ; avoir courbé, forcé ma vie vers les graves pro- blèmes et la pensée, qui est triste ; avoir transformé dou- loureusement mon esprit, mon action, ma sphère de mou- vance, jusqu'aux vêtements que je porte, jusqu'au style

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