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LE DIALOGUE AVEC GERARD 35I

GÉRARD. — Avec mon couteau, j'ai gravé le nom de Guynemer dans le parapet. Et puis profond, tu sais !

ANTONIN. — Tu as bien fait.

GÉRARD. — Papa m'a confisqué le couteau. Il a dit que c'était un très beau couteau, que je l'avais esquinté. Mais, au lycée, tous les types ont fait comme moi, sur leurs pupitres. — A propos, je vais te raconter une his- toire ; tu ne la répéteras pas. Ou plutôt c'est quelque chose à te demander.

ANTONIN. — Où l'on peut acheter un bouchon ?

GÉRARD. — Oh ! je t'en prie î Je serai obhgé de cesser mes relations avec toi si tu prends l'habitude de ce petit genre de te fichotter de moi.

ANTONIN. — Et alors, qu'est-ce que c'est que ton « histoire » ?

GÉRARD. — Hier, en récrée, j'étais à côté de grands qui parlaient. ILy en avait un qui disait qu'on peut vivre sans aucune morale. Alors j'ai pensé que ce n'était pas bien d'écouter et je suis parti. — Dis-moi ce que tu en penses. Est-ce qu'on peut vivre sans aucune morale ?

ANTONIN. — A côté de toi, non, on ne peut pas.

GÉRARD. — Pourquoi v( à côté de moi » ? Est-ce que c'est encore une rosserie ?

ANTONIN. — (J'étais dans une forêt épaisse, et sou- dain je me suis trouvé devant la mer. Je suis devant lui comme devant une mer. J'ai les yeux plus grands comme quand on regarde la mer.) (Haut.) Mes gants crème, mes bottes bien luisantes, n'y crois pas ! C'est toi qui as raison.

GÉRARD. — Qu'est-ce qui te prend ?

ANTONIN. — (J'ai vu le Bien. Il était beau, aveuglant comme une chose primordiale. Il brûlait comme un

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